Ils sont là, face à face, dans la pièce aux rideaux tirés, tête baissée. Pourquoi cela est-il arrivé ? Il ne demandait qu’à vivre, épanoui dans sa belle jeunesse. Leur regard se porte, sur la cheminée, sur la photo d’un beau jeune homme. Puis, au bout de la table, sur une chaise, la sienne. Désormais, il est bien mort. Le mot dans la bouche du gendarme, tout à l’heure, n’a fait que les assommer. Mais maintenant cette chaise vide dit tout.
Ils pleurent silencieusement, en se tenant la main. Qu’ont-ils fait pour mériter cela ? Ils l’avaient pourtant bien élevé. À qui la faute ? À cet automobiliste fou, peut-être imprégné d’alcool ? Au manque de visibilité qu’on a à ce carrefour, où déjà des accidents se sont produits ? Au destin ? À Dieu ? On n’en sait rien...
Justement un petit coup frappe à la porte. C’est le curé. Il vient les réconforter.
« Dieu lui-même... » Mais il voit le regard égaré du père, accablé de la mère. Il hésite, puis se reprend, consent à dire d’une voix basse : « Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous, comment ne nous donnera-t-il pas aussi tout avec lui, par grâce ? »*
Il a juste le temps de finir. Car aussitôt le père se lève, se jette sur lui, lui crache au visage, et le chasse. Devant tant de brutalité, répondant à tant de barbarie, la mère n’a pas réagi. Elle est restée assise, elle regarde dans le vide et le noir de sa nuit. Mais enfin on l’entend murmurer : « N’étends pas ta main sur le jeune homme et ne lui fais rien... »**
Dehors brille un magnifique soleil.
* Romains 8/32
** Genèse, 22/10-12 : Puis Abraham étendit la main et prit le couteau pour égorger son fils. Alors l’ange du Seigneur l’appela du ciel et dit : « Abraham ! Abraham ! » Il répondit : « Me voici ! » L’ange dit : « N’étends pas ta main sur le jeune homme et ne lui fais rien... »
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Tout texte littéraire se rattache à un texte antérieur, de façon plus ou moins consciente. J'ai entrepris de rattacher plusieurs de mes textes et de mes livres à un texte fondateur de notre culture, celui de la Bible. Je le vois comme un monument de Littérature, dont les parties se renvoient les unes aux autres, tel celui du Nouveau Testament, qui est une réécriture inventive du Premier. Inventer signifie ici et à la fois trouver de l'ancien et ajouter du nouveau. Le texte biblique est ainsi toujours fait d'emprunts et de citations. Il est instituant souvent, discutable parfois. Dans ses marges j'ai entrepris ici mes propres variations.
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Le texte ci-dessus est extrait du tome I de mon ouvrage Fictions bibliques, édité chez BoD. Il est illustré de dessins originaux de l'artiste Stéphane Pahon. En voici la présentation en Quatrième de couverture :
Ce livre propose des libres lectures de passages bibliques. Elles servent parfois l'intention du texte initial, mais parfois aussi en problématisent le contenu, quand il n'a plus semblé admissible pour un esprit indépendant. L'appel à la sensibilité, propre à la littérature, permet de corriger ce que l'exégèse et la théologie traditionnelles peuvent avoir de dogmatique.
Pour plus de renseignements, et commander le livre sur le site de l'éditeur, cliquer sur l'image ci-dessous :
Ce livre est aussi disponible sur commande en librairie, ainsi que sur les sites de vente en ligne.
à propos du blog
Ce blog vient en complément de mon blog principal généraliste : www.michel-theron.fr - Il comprend spécifiquement des productions ayant trait à la Littérature et à l'Art : poésies, fictions et micro-fictions, réflexions diverses sur l'esthétique, photographies et vidéos.