... Un monde a existé où tout était mêlé, proche et fraternel. Rien n’était encore défini, c’est-à-dire borné, limité (finis veut dire frontière). Ou distingué, dans tous les sens du mot. Ni discrimination ni décence, qui sont des processus sociaux. Un pacte me liait aux éléments, aux plantes, aux animaux. Au temps où les bêtes parlaient : début des Contes. Tout vivait, se confondait à moi, et moi à tout. Je n’étais pas encore un individu séparé. Toute la culture vise à la séparation. Tout l’art et la poésie, à restaurer ou réhabiliter cette union première. Toute la mystique aussi, qui cherche toujours la fusion du sujet et de l’objet, la non-dualité (advaita).
Femme-fleur, femme-animal. Quelle belle plante, quelle belle bête... Les métaphores maintenant me mettent en marge de tout mon englobant logique, social et moral. « Jeunes filles en fleur » déshumanisent la personne. La liane, la fourrure m’invitent, et me font régresser, avec béatitude. Je reviens à la jungle, à la forêt – pourquoi pas à la sauvagerie (ce mot vient de silva, forêt) ?
Le langage courant comporte bien des traces de la zoophilie primitive. On peut les voir dans les hypocoristiques de la tendresse, véritable ménagerie visible et lisible dans tout échange de lettres d’amour : mon petit loup, mon gros canard, etc. La femme est féline : sa toison n’est-elle pas chatte, minet, minou ? Avant la création d’Ève, Adam assurément faisait l’amour aux animaux. Puis tout cela a été prohibé, d’abord dans la Bible, et constitue encore le tabou d’aujourd’hui. Son attrait n’en est que plus grand...
Bête d’amour... Attrait redoutable du désir. Dans l’amour physique on se déshabille de l’humain. Là précisément est sa grandeur : le sur-humain. Au plus haut point d’incandescence du désir, on dépouille l’homme en soi. Ces larmes, mon amour, n’étaient point larmes de mortelle... J’ai cru hanter la fable même et l’interdit.
Je pense que le désir sensuel brut, au moins celui de l’homme, s’exacerbe de la déshumanisation. Hors contexte, comme ici dans cette photo, il s’enflamme d’une toison – quelle qu’elle soit. Et peut-être alors, surtout, point n’est besoin ici de la reconnaître pour ce qu’elle est étroitement : une chevelure humaine. Dans ces moments, tout se vaut et tout s’équivaut.
D’un point de vue humain, cela évidemment est un problème. Il y a une grandeur tragique du désir, et une ironie, en ce que son objet au fond est indifférent, et interchangeable. Dans ce type d’amour on ne compte pas.
Ce qui fait un être humain, son individualité, sa spécificité irremplaçable, c’est sûrement son regard. Les yeux sont le miroir de l’âme. Mais précisément ici ils ne se voient pas. Sans regard, cette figure m’est livrée, abandonnée. Peu importe ce qu’elle est, au fond, puisque je ne m’attache qu’à une apparence ...
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Ce passage est extrait du chapitre 5 de mon ouvrage Quand parlent les images - Méditations photographiques, publié chez BoD. Il est disponible en format papier et en format électronique (e-book).
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Le langage de l'image est celui que nous tenons en la contemplant. Sa signification est celle de notre propre discours intérieur, qu'il convient d'analyser dans tous ses procédés, ce que fait le présent ouvrage. Il est composé de méditations que l'auteur a faites sur des photographies qu'il a réalisées lui-même à partir d'un visage féminin. Ces méditations ne sont pas que didactiques. Elles incluent aussi sensibilité et rêverie. De la sorte, ce livre pourra intéresser (...)
Voici le texte complet de la quatrième de couverture :
Le langage de l'image est celui que nous tenons en la contemplant. Sa signification est celle de notre propre discours intérieur, qu'il convient d'analyser dans tous ses procédés, ce que fait le présent ouvrage.
Il est composé de méditations que l'auteur a faites sur des photographies qu'il a réalisées lui-même à partir d'un visage féminin.
Ces méditations ne sont pas que didactiques. Elles incluent aussi sensibilité et rêverie. De la sorte, ce livre pourra intéresser tous ceux qui en général aiment les images et les mots, ainsi que leur dialogue souvent très fécond.