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es deux ne sont pas la même chose. Dans cette photo ce qu’on peut voir d’abord immédiatement (avant toute médiation intellectuelle), est un tableau bleu se dressant verticalement, exactement sur le même plan que le rideau et l’encadrement de la fenêtre qui le bordent sur ses côtés. Ce qu’ensuite l’intellect reconstruit, c’est un ciel ennuagé et une mer calme, qui désormais sont vus comme lointains, en arrière plan : le premier en bleu plus clair, et la seconde en bleu plus foncé. Ce ne sont plus de simples bandes chromatiques sur un tableau, mais à chaque nuance correspond et est assignée une distance. C’est ainsi que procède la vision corrigée. Annule-telle totalement la précédente ? Peut-on revenir à cette dernière ? Il faut l’expérimenter...
Ce qui me semble sûr, c’est que c’est la vision première, surprise, sans correction ultérieure, qui est la plus riche, et la plus poétique. En effet, à quoi bon voir comme on voit d’habitude, avec toutes nos rectifications, même inconscientes ? Ce qu’on sait y remplace toujours ce qu’on voit. Le monde est bien pauvre où l’intelligence fait toujours ses retouches, ramène de l’inconnu à du connu. Bien sûr ces corrections sont utiles pour la vie pratique, et sans elles, nous serions livrés à un chaos sensoriel. Mais ne devons nous pas bénir ces moments magiques où nous leur échappons ?
J’ai toujours pensé qu’art et création en général sont des sortes de micro-folies, des bugs dans le programme éducationnel et social. Ils obéissent à une sorte de malin génie saboteur qui détruit les constructions logiques et les attentes convenables : celui-là même que les espagnols appellent le duende. Il n’y a pas de réussite à mon avis si rien ne s’y brise. Quand quelque chose ne nous touche pas vraiment, ne dit-on pas que cela ne casse rien ? Et quand nous sommes vraiment émus, que cela nous déchire ? Il faut écouter le langage : il a déjà prévu sa propre subversion.