A |
u bord de l’eau s’écrivent les roseaux. Hachures et stries semblent défier l’écoulement qu’elles biffent. Quel besoin ont-elles d’ainsi s’interposer ? Ne peut-on simplement s’effacer, et laisser aller toutes choses, au fil du courant ?
Quel besoin aussi d’écrire ? Ne peut-on se laisser porter par le courant de la vie, la propension générale, l’abandon universel, sans réfléchir au pourquoi ou au comment ?
L’écriture est un arrêt. Comme l’immobilisation de ces roseaux, saisis en instantané par l’appareil du photographe. Le vent qui les agitait ne se voit plus sur l’image, qui est nette et non pas floue, comme on devrait la voir naturellement. En fait rien de plus antinaturel qu’un instantané, puisque dans la vie rien ne s’arrête. Ne bougeons plus ! dit l’opérateur. Et effectivement, arrachée au temps, la photo prend une dimension d’éternité. Pareillement pour l’écriture.
Hors-vie aussi est ici le noir et blanc, puisqu’on voit en couleurs. Ce retrait, cette abstraction de la vie tend vers l’épure ou au schéma. Ces derniers permettent de mieux faire voir, en éliminant les éléments adventices, accidentels, pour aller vers l’essentiel, qui est magnifié de ces refus mêmes. Le noir et blanc endimanche la vision ordinaire. Et il a beaucoup d’élégance. Le photographe qui le pratique se présente toujours en smoking.
L’écriture aussi opère un tri entre les éléments fortuits de l’existence, pour ne dire que ce qui compte vraiment. Ce n’est pas une copie aveugle des choses, mais une mise en évidence de leur substrat, de leur essence. Elle ne s’intéresse pas à la peau ou la surface, mais à ce qu’il y a en-dessous. C’est une radiographie du réel, un peu comme cette photo est une radiographie des roseaux. Merci à eux, puisqu’aussi bien aujourd’hui ils m’ont permis d’écrire encore.