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ongtemps j’ai voulu savoir, et le plus possible de choses. Elles reposent, bien rangées, dans mes dossiers, et dans ma mémoire.
Mais maintenant je vois les limites de cette ambition intellectuelle. Je vois qu’à chaque idée s’en peut opposer une autre, toute contraire, et tout aussi vraie, si l’on en change et détermine le contexte. Et que toutes ces montagnes de papier dévolues au Savoir ne dispensent pas d’une Connaissance.
Elle est d’une autre nature, sensible, imprévue, transperçante aussi souvent : telles ici les feuilles lancéolées du laurier-rose. La plupart du temps aussi (et pour la plupart des êtres ?), ces apparitions restent inaperçues. Mais pas toujours.
Pourquoi aussi un jour la fantaisie m’a-t-elle pris de faire d’un brin fleuri une sorte de bouquet, dans un vase ? Voulais-je seulement orner ma pièce ? Ou bien autre chose ?
Et maintenant je le regarde, en contrejour, sur le fond surexposé de ma porte-fenêtre. La lumière semble lutter avec lui, ou lui avec elle, on ne sait. Mais le halo de l’ensemble forme une sorte d’épiphanie, comme dans certaines peintures baroques – au moins est-ce là ce que je ressens. Mes dossiers réfugiés dans leur meuble, en tout cas, n’y participent pas. La lumière les boude.
Si loin qu’on aille dans le Savoir, si l’on n’est pas touché, ou au moins effleuré, par l’aile de la Connaissance, on demeure incomplet. Il faut sentir au moins un jour, ou une heure, quelque chose qui échappe au discours, au rappel de ce qu’on sait, mais qui est indubitablement présent.
Est-ce un appel ? Mais vers quoi ? Je n’en sais rien, et me garderais de toute façon de trop en dire si j’en percevais quelque chose. Disons qu’un autre monde y est contenu, celui-là sensible, et non plus intellectuel. Le connaître est naître avec lui.