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u proche au lointain s’élève le regard. D’abord le champ, sur lequel est posée l’abri du berger, lui aussi couvert d’herbe. Ensuite la vaste plaine en contrebas, avec en transition la forêt sombre. Enfin la montagne bleue, surmontée d’un embryon de nuage. Là est tout ce qu’on voit. Derrière, il y a ce qu’on sait : l’Espagne.
Celui qui regarde cette image peut être comme aspiré vers le haut de la photo, jusqu’à se perdre finalement dans un bleu immaculé, vierge de toute présence, et annulant tout le reste. L’impression générale est celle d’une grande paix, loin du monde des hommes.
Mais voir est aussi se souvenir. Pour moi, qui projette souvent ce que j’ai lu derrière ce que je vois, la Maison du Berger est un symbole de l’union des amants qui s’y sont réfugiés en rupture avec la vie sociale, comme l’a imaginé un poète, Vigny, dans une belle image de la solitude à deux.
Mais je me plais à penser que leur cœur restera toujours hanté par l’infini, et qu’au sortir de leur étreinte leurs yeux seront happés, par-delà tout nuage, par ce bleu immaculé que j’ai dit. Rien ne nous satisfait sans une pointe d’attente d’autre chose, et au sein même de toute extase demeure le désir de son dépassement.
Ainsi le paysage s’arrache-t-il à la carte postale, pour devenir un paysage intérieur.
Pour le sage méditatif, l’appel du bleu est l’attrait du Vide essentiel, pour lequel sont nos plus profondes pensées. Il n’est point d’idée même qui ne se parachève par le sentiment de son imperfection, le désir de sa contradiction et l’attente de son évanouissement. Le sage est sans idée.
Si grands et beaux que sont les sentiments, et si amples et riches les pensées, rien ne suffit à l’homme de ce qu’il sent et pense, et n’égale le bleu du ciel.