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ette photographie les juxtapose, me semble-t-il : d’une part, la croix renvoie à un monde autrefois très présent dans le cœur et les esprits, le monde chrétien. Et de l’autre, le poteau et les fils électriques peuvent résumer, avec un peu d’imagination, le monde d’aujourd’hui, cherchant avant tout d’améliorer les conditions matérielles de l’existence.
Qu’y avait-il autrefois qu’il n’y a plus ? Le sentiment d’être protégé, sécurisé, concerné et pris en charge par le Texte sacré qui expliquait toutes choses. Dans la modalité chrétienne que j’ai connue, le catholicisme, il y avait aussi l’Institution ecclésiale, qui dirigeait le troupeau fidèle, et le dispensait ainsi des doutes personnels. – Mais principalement, la vie était finalisée. À regarder la croix aux carrefours, comme ici, on pensait à celui qui fut offert en sacrifice pour racheter les péchés des hommes. La vie alors n’était pas absurde, elle avait un sens, obéissait à un récit explicatif, de la chute à la rédemption. Combien d’œuvres chéries, aussi, étaient basées sur cette dualité ! Elles nous tendaient un miroir consolateur de nos épreuves.
Mais petit à petit ce monde d’autrefois s’est effacé. Et aujourd’hui il agonise. À l’inverse, le progrès matériel hante tous les esprits. On en assure la certitude à chacun, au point qu’il n’est pas de problème qui, pense-t-on, n’y puisse trouver sa solution. La vie s’auto-suffit, elle n’a nul besoin d’une garantie extérieure pour s’assurer de son authenticité. Bonheur et confort s’auto-légitiment, sont leur propre caution. Mais que devient un monde d’où a disparu toute transcendance ? Me revient en mémoire la formule latine : Et propter vitam vivendi perdere causas – Et en faveur de la vie perdre les raisons de vivre...
Alors dans un tel monde la photo peut perdre sa signification extrinsèque, pour devenir un simple jeu de lignes, une œuvre seulement graphique. Déculturation et esthétique formelle l’emportent, comme aujourd’hui, sur les ruines du sens et de la mémoire.
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