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charnés à poursuivre leur proie, les goélands montrent le vrai visage de la nature. Elle ignore toute bonté, elle n’est qu’un combat pour la nourriture et la survie. Sa beauté n’est qu’un leurre, qui masque sa réalité, l’autophagie qui la définit, le meurtre permanent dont elle est le théâtre. On nous dit que ciel et terre chantent la gloire de Dieu. Eh bien, nous le voyons là, le vrai visage de Dieu : celui d’un massacreur, d’un tueur sans gages, dont les crimes seront à jamais impunis. Crimes parfaits.
L’enfant que j’étais ne pouvait faire toutes ces réflexions. Le catéchisme l’avait modelé, et sans doute le désir secret d’être illusionné. Pourtant du vol de ces oiseaux il pouvait tirer l’image d’un désordre constant, figurant celui qu’il voyait autour de lui. Il me semble qu’un enfant, surtout un enfant sensible, ne peut faire qu’il ne voie le décalage constant entre ce qu’il attend comme propre à le rassurer, et ce qui se produit. L’inconstance parentale, d’abord. Elle détruit, et souvent pour toujours, la confiance native dans la vie. D’un père on attend qu’il soit un Père, et cela ne se produit pas, à cause d’une conduite non maîtrisée, incohérente. D’une mère, qu’elle rassure, et non pas qu’elle communique sa propre angoisse. Mais tout autour de soi aussi on constate l’évidente rupture d’un monde éclaté. Miroir brisé :
Au plus loin que je m’en souvienne
Le monde fut désaccordé
Et l’enfant était dans la peine
Du désordre qui le mordait
La poésie que j’écris aujourd’hui, bien sûr, ne rachète rien, n’annule rien. Tout au plus permet-elle une certaine mise à distance. Simplement le sang versé autrefois (métaphoriquement) devient maintenant un sang d’encre. Rien de plus.
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Cette photo et ce texte sont extraits de mon ouvrage autobiographique Exil. On peut le commander directement sur le site de l'éditeur BoD. Pour plus de renseignements, cliquer sur l'image ci-après :
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