Ce que disent les fleurs

S

ouvent leur salut nous réconforte. Il nous dit que la nature l’emporte sur toutes les déconvenues, qu’elle est là pour nous accueillir, si graves que soient les renoncements que nous consentons, les échecs que nous subissons, les deuils qui nous frappent. Si tout change pour nous, elle est toujours la même. C’est un recours en chaque besoin.

Pourtant ce n’est pas toujours vrai. Dans certains cas nous sommes à ce point blessés à l’intérieur de nous, que la beauté des fleurs nous semble une ironie par rapport à ce que nous ressentons, et même une insulte. Rageusement, nous nous en détournons, si nous ne les arrachons pas et les piétinons. Elles humilient notre cœur.

Par exemple j’écris ce texte au moment où la Russie a envahi l’Ukraine, et où nous sommes submergés d’images de guerre toutes plus terrorisantes les unes que les autres [mars 2022]. Que pèsent ces fleurs à côté ? Assurément aucune consolation ne s’y peut trouver. Et plus grande ici est la beauté, plus grand aussi est le désir de s’en détourner. Comme l’iconoclaste peut détruire les belles images qu’il exècre, parce qu’elles n’ont aucun rapport avec la vie réelle.

Il en est donc du langage des fleurs comme de celui de la musique selon le philosophe : elle est bonne pour un mélancolique, mais mauvaise pour un affligé. Bien sûr il ajoute qu’elle n’est ni l’une ni l’autre pour un sourd, ce qui montre que nos jugements dépendent de l’état de nos organes. Mais cela ne vaut pas pour les fleurs, car même si on ne les voit pas elles peuvent encore exister et nous parler grâce à leur parfum.

Pauvres lauriers-roses, d’être ainsi sollicités et pour ainsi dire transportés d’un bout à l’autre de la sensibilité ! Il est sûr que parfois vous consolez, et parfois vous provoquez. Mais aujourd’hui vous m’avez donné une leçon. N’attendons pas trop pour vous aimer. Il faut sans doute ignorer beaucoup de choses pour être heureux.

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