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l est un axiome qu’on cite fréquemment : L’Art imite la nature. Et on le comprend comme si l’Art devait copier les productions de la nature. Mais on a tort. Si l’Art effectivement imite la nature, ce n’est pas parce qu’il en reproduit les résultats, mais parce qu’il l’imite dans son opération même. Elle crée, donc lui aussi fait la même chose qu’elle : il crée. Et son action n’est pas de reproduction, mais de représentation, de rappel à l’esprit. Il réagence à sa façon ce qu’elle lui offre. Si on veut, la nature n’est qu’un dictionnaire, et il ne viendrait à l’idée de personne de copier le dictionnaire. Elle offre les mots, à nous d’en faire des phrases, un discours qui nous soit propre. Elle propose, et c’est à nous de disposer.
Mes colchiques automnaux ont été arrachés au lieu naturel où je les ai vus, une prairie de montagne, et insérés dans un nouvel espace, celui d’une création autonome. Détourés, ils ont été rédupliqués, devenus d’autres papillons. Le noir et blanc les solennise, et leur donne une valeur, archétypale, définitionnelle, que la couleur diluerait peut-être. Les herbes sur lesquelles ils ont éclos sont devenues des traits abstraits par diminution de leur luminosité et augmentation de leur contraste.
Naturellement de même qu’il n’est point nécessaire pour goûter un plat de connaître sa recette, de même on peut faire abstraction de la « cuisine » photographique pour goûter une image. Pour moi, celle-ci a été la radiographie d’un moment, d’une présence devenue essentielle par la remémoration. À ce propos je n’aime pas du tout la formule connue : On ne peut pas être et avoir été. Je pense tout le contraire, que j’ai exprimé aussi dans un petit poème :
Colchiques de fin de l’été
S’évaporent en papillons
Par la grâce de ces visions
Où l’on est pour avoir été...
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