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l passe en nous, et il déteint sur notre figure. En fait, comme Janus, nous avons deux visages. À côté du soucieux visage de maison (elle est devinable ici en haut de la photo), nous avons un glorieux visage de jardin.
Nos soucis, c’est notre maison qui les incarne. On s’y préoccupe du lendemain, on réfléchit, on programme les tâches à venir. Il faut entretenir, nettoyer, bref maintenir. Mais découvrir, la maison ne le permet pas. C’est le rôle du jardin.
La part de la maison appartient à Marthe, au nom prédestiné (maîtresse de maison), qui dans l’Évangile s’affaire pour recevoir Jésus du mieux qu’elle peut. Mais sa sœur Marie ne fait rien, et se contente de fixer amoureusement le visiteur, qui finalement lui donne raison : c’est Marie qui a la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée, tandis que Marthe s’agite et se trouble pour beaucoup trop de choses. À la vie active propre à Marthe est préférée, en Marie, la vie contemplative.
C’est celle du jardin, qui est le lieu par excellence de la contemplation. Que de fois ai-je contemplé la danse des insectes pollinisateurs autour de mes sauges bleues, la paresse d’un lézard immobile sur une grosse pierre, le manège d’un oiseau cherchant sa nourriture sur mon tamaris, l’épanouissement d’une fleur absente encore la veille ! Ces petites scènes prenaient pour moi le sens des grandes aventures. Et je quand je rentrais pour reprendre mon soucieux visage de maison, j’étais fier de ce que j’avais vu.
On tire aussi du jardin une grande leçon, et ici tous les jardiniers me comprendront. On n’a pas maîtrise sur tout On ne peut faire pousser quoi que ce soit n’importe où et à la vitesse que nous voulons. Contre l’illusoire activisme prométhéen de mes contemporains, grâces soient rendues au jardin, qui permet la contemplation, enseigne la modestie et la patience, et la part non maîtrisable, quasi destinale, de la vie.
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