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e soleil ne se peut regarder en face, sous peine d’être aveuglé. Mais reflété dans l’eau il s’atomise en milliers de petits soleils, qui scintillent au gré du vent. La grande étoile s’est muée en un feu d’artifice de petites étoiles, que nous pouvons contempler, et dans chacune desquelles nous pouvons trouver une lointaine idée de la grande.
Il y a dans ce phénomène de fragmentation à la fois l’image d’une destruction, l’éclatement d’une complétude initiale, mais aussi celle de sa compensation possible, assortie peut-être de prévenance et de précaution : nous ne pouvons pas voir le Tout, mais nous en pouvons voir des fragments.
Je pense à la cosmologie des anciens gnostiques, qui voyaient la création comme une explosion ou déflagration de la Perfection première, mais conjurable ou remédiable en un sens par la contemplation des morceaux qui continuaient de donner une idée de l’ensemble : tels ceux d’un miroir brisé, qui continuent quand même à refléter une partie de la lumière. Si on veut ce sont de petits luminaires (luminaria) qui renvoient chacun une partie de la grande Lumière (Lux).
Dans nos vies, il est très rare que nous connaissions des moments parfaits et qui durent. La plupart du temps nous restons sur notre faim, et devons nous contenter de très brefs instants de plénitude, à la merci du moindre vent qui peut tout changer et les faire disparaître, comme dans ma photo les petits soleils à la surface de l’eau.
Mais au moins avons-nous pu en goûter les prémices, en pressentir la saveur. Je ne sais si, comme le dit l’Apôtre, nous voyons ici-bas toutes choses confusément, comme à travers un miroir – pas plus que si alors nous verrons tout face à face. Mais sans doute est-ce assez pour moi de deviner dans ses petits reflets l’existence d’un Soleil dont la vision totale m’est interdite.
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