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lle est souvent bien plus intéressante que la clarté complète faite sur les choses, par la raison qu’on préfère les imaginer que les voir. Et à cet égard de simples fragments émergeant de sa profondeur suffisent. Un spirituel poète l’a dit : Baisse un peu l’abat-jour, veux-tu ? C’est dans l’ombre que les cœurs causent... Il aurait pu aussi parler de la charité de l’ombre, propre à gommer des défauts dont la vision pourrait faire obstacle au rêve.
Comment expliquer alors que l’ombre si attirante parfois puisse être dans d’autres cas effrayante ? On le comprend des enfants bien sûr, qui s’en alarment d’habitude. Mais si cette peur ou cette appréhension subsiste chez l’adulte, sans doute y a-t-il encore chez eux un reste de l’enfance. Elle ne disparaît jamais complètement, et tout homme est le fils de l’enfant qu’il a été.
L’ombre suscite donc à la fois le désir et la crainte. Certains disent que les deux émotions sont identiques, toutes deux déracinant l’homme de lui-même, l’arrachant à sa quotidienneté, à sa zone de confort. C’est vrai dans certains cas, par exemple celui d’un introverti projetant un voyage, ou d’un timide engageant une relation amoureuse. Mais est-ce vrai dans tous ?
En tout cas, il faut délibérément aimer l’ombre, et déplorer sa disparition dans notre culture. Voyez les ravages causés par l’éclairage urbain : sa profusion empêche de voir les étoiles dans le ciel, dérègle les rythmes circadiens, selon lesquels on ne dort bien que dans le noir.
Voyez aussi le goût que nous avons pour tout ce qui est brillant et réfléchit la lumière en l’exaltant, comme le diamant. Les Orientaux (je pense au Japon par exemple) préfèrent l’opacité, comme celle du jade. Leurs maisons comportent des auvents qui permettent le faux-jour, alors que les nôtres laissent entrer au maximum la clarté. On ne réfléchit pas que tourner brutalement le commutateur électrique pour inonder une pièce de lumière est donner congé au rêve. Dans nos vies suivons donc l’exemple de la flamme. Elle ne se voit bien que dans l’obscurité.
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