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ue la Beauté soit irréelle, et un simple rêve, c’est ce qu’on voit bien dans ce cliché que j’ai fait au Musée Calvet, en Avignon. Aucun visage et corps féminins réels n’y correspond. Voyez par exemple l’œil stylisé en amande, ou encore la chevelure, tout aussi stylisée. On n’a pas affaire à du réel, mais à un embellissement et une idéalisation délibérés, une abstraction euphémisante.
Cela est assez compréhensible. On ne peut rêver que sur de l’irréel. C’est pourquoi m’indisposent toujours des slogans publicitaires comme : Ce corps dont vous rêvez, c’et le vôtre. Car si ce corps que je vois réellement est moi-même, précisément je ne peux en rêver. Cela me fait penser à la devise de certains restaurants : Ici on mange comme chez soi. Car si c’est pour y manger comme chez soi, ce n’est pas la peine d’aller au restaurant.
Le rêve que le sculpteur a voulu dégager du marbre est bien sûr pour nos pauvres vies un aguichage, un teasing constants. On nous fait miroiter un idéal que bien sûr nous ne réaliserons ou rencontrerons jamais. La souffrance est grande quand on s’y compare. Alors une tentation peut s’installer. Si vraiment la Beauté est ainsi irréelle, si on y mesure le décalage qu’elle présente avec nos existences déchues, on peut vouloir, par riposte et bravade, la bafouer, voire la détruire.
La psychologie de l’iconoclasme peut s’expliquer en partie de cette façon : détruire ce qui provoque par son éloignement de nos vies mêmes. Injurier la Beauté est se venger de sa sérénité silencieuse. Nouvel Érostrate, le taggueur urbain peut maculer ou lacérer ce qui le nargue : ce peut être une œuvre du Musée, qu’il salira, ou un panneau publicitaire affichant un modèle photoshoppé (donc irréel). À la limite, ce refus de la perfection qui n’est pas de ce monde est postulatoire, une pure affaire de dignité personnelle. À Dieu la Beauté, à l’homme la varice !
... Pourtant j’aimerai toujours quant à moi, même si je comprends qu’on puisse y voir une provocation, le mensonge de la Beauté.
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