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Le blog artistique de Michel Théron
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Confiance

Confiance

E

 

lle m’a été enlevée depuis longtemps, ou bien je l’ai perdue, mais cela revient au même. Un enfant l’a normalement en lui, il me semble. Voyez comment ils viennent spontanément au-devant d’un étranger qu’ils croisent sur leur chemin, avec un beau sourire ouvert, et un retentissant « Bonjour ! » C’est seulement les parents, eux-mêmes paralysés par leurs peurs, qui les reprennent : « On ne sourit pas à des étrangers ! Méfiance est mère de sûreté ! » Ainsi se perpétue un nouveau Massacre des Innocents.

Pour moi, il a eu lieu très tôt. Ma mère était une grande anxieuse, et mon père inexistant. Je ne veux pas dire absent physiquement, mais simplement qu’on ne pouvait pas compter sur lui : instable et inconséquent, changeant constamment d’humeur et d’état. Cela venait d’une fragilité peut-être constitutive, peut être acquise, je n’en sais rien. Cette réflexion, je peux la faire maintenant, mais à l’époque je ne le pouvais, et j’ai souffert de la conséquence sans pouvoir m’interroger sur la cause.

Cette souffrance m’a accompagné tout du long, m’a suivi comme mon ombre, inséparable. Que peut faire un enfant à qui la confiance dans la vie, dans les possibles à venir, a été ôtée ? Il a beau chercher le Père dans son père, il ne le trouve pas. Le modèle paternel doit faire grandir, il me semble, comme tout arbre a besoin d’un tuteur pour ne pas être déraciné. Encourager, ouvrir un chemin, donner confiance. Mais cela ne s’est pas produit. J’ai toujours eu peur – à l’image de ma mère, dont sans doute l’angoisse était amplifiée par l’état de son mari. Mais cela encore je ne pouvais pas l’analyser.

Fait significatif, je ne l’ai jamais entendue chanter. Il n’y avait nulle fête chez nous, nulle réunion d’amis. J’ignore ces maisons où règne la joie. Et même je les hais, car elles me provoquent trop, par rapport à ce que j’ai vécu. On a essayé de m’y transplanter, par souci de compensation et bonne intention sans doute, mais le résultat a été catastrophique. Le bonheur des autres m’a semblé factice, vraiment insultant, totalement irréel, alors que ce que j’ai vécu était bien réel à côté.

Il me souvient d’un extrait de film, où un artiste peintre dépressif voit toujours comme il dit « les choses derrière les choses » : derrière un nageur, il voit un noyé, etc. J’ai été comme cela. Et encore maintenant, chaque fois qu’une perspective nouvelle s’ouvre devant moi, je vois le pire. Aujourd’hui encore, il suffit d’une lettre inconnue, d’un soudain coup de sonnette ou d’un appel de téléphone, pour m’angoisser.

Pourtant j’ai étudié, avide de ce que recélait cette forteresse de livres qui me servaient de remparts pour me protéger de la vie. J’en ai cherché le sens, et j’y ai lu aussi que la confiance était l’essentiel pour avancer dans la vie. Cela, je le sais, mais abstraitement, intellectuellement. Comment le vivre ?

Le calme de cette pièce où je parle librement, ce divan où je suis allongé, ces belles gravures sur les murs, tout cela m’invite à la paix. Certes je ne suis plus au fond du désespoir, tout simplement parce que j’ai vécu, et pu entrevoir au fil de toutes ces années, en brèves illuminations, ces moments d’éternité où le but semble être atteint. En moi est, il me semble, quelqu’un qui demande à naître, comme un nouvel enfant qui n’aurait pas connu ce que j’ai connu, enfin débarrassé des peurs. Je m’y raccroche, et on peut dire que j’y ai fait le premier pas vers la confiance. Mais pour le second, qui m’y aidera ?

Aidez-moi, Docteur, à devenir père de ce nouvel enfant. J’ai confiance, venez au secours de mon manque de confiance ! A

 


A Marc 9/24 : ... Aussitôt le père de l’enfant s’écria : « J’ai confiance ! Viens au secours de mon manque de confiance ! »

 

*

Ce texte est extrait du tome I de mon ouvrage Fictions bibliques - La Bible revisitée, édité chez BoD. Il est illustré de dessins originaux de l'artiste Stéphane Pahon. En voici la présentation en Quatrième de couverture :

Ce livre propose des libres lectures de passages bibliques, présentées sous forme de petites fictions.

Elles servent parfois l'intention du texte initial, mais parfois aussi en problématisent le contenu, quand il n'a plus semblé admissible pour un esprit indépendant.

L'appel à la sensibilité, propre à la littérature, permet de corriger ce que l'exégèse et la théologie traditionnelles peuvent avoir de dogmatique.

Pour plus de renseignements, pour en lire un extrait et commander le livre sur le site de l'éditeur, cliquer sur l'image ci-dessous :

D.R.

 

Ce livre est aussi disponible sur commande en librairie, ainsi que sur les sites de vente en ligne.